A l’initiative de Reporter Sans Frontière (RSF), des associations de défense des droits des journalistes et organisation de presse, un appel dit ‘’Appel des 80’’ est lancé aux nouvelles autorités nigériennes. Il alerte sur la détérioration du climat de confiance pour les médias. Les signataires de cet appel appuient leur intervention avec des cas documentés entravant la liberté de presse dans le pays.
‘’L’Appel des 80’’ est signé par la Maison de la presse du Niger, la Fédération des journalistes africains (FAJ), la Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) et la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO). Des journalistes de renoms nigériens se sont également associés à la démarche.
L’urgence pour les signataires, c’est de dissiper les « fortes inquiétudes depuis le coup d’État du 26 juillet dernier. » « Depuis le 26 juillet, date du coup d’État, des journalistes locaux et internationaux ont été physiquement attaqués et cyberharcelés. Des médias ont été suspendus. C’est la liberté de la presse et le pluralisme de l’information qui sont directement pris à parti. Or le droit d’informer et celui d’être informé ne sauraient être remis en cause dans ce contexte d’instabilité politique que traverse le Niger. De Niamey à Djibouti et de N’Djamena à Antananarivo, des journalistes et des organisations se rassemblent et appellent la junte au Niger à respecter le droit fondamental à une information fiable et plurielle et à ne pas entraver le travail des professionnels de l’information », écrit Sadibou Marong, Directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF.
Voici l’intégralité de l’Appel des 80 publié par RSF
L’APPEL DES 80
“Les autorités militaires ont le devoir de respecter les droits des journalistes au Sahel ”
Nous, journalistes, responsables de médias et d’organisations de défense de la liberté de la presse, établis et travaillant en Afrique, avons recensé de nombreuses atteintes à la liberté de la presse depuis la prise du pouvoir, le 26 juillet 2023, par le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) du Niger.
- Deux jours après le coup d’État, des individus non-identifiés ont attaqué les équipes de la radio-télévision nigérienne Anfani et endommagé une caméra de la télévision privée Bonferey. Elles couvraient un point presse des femmes de la formation politique du président renversé, Mohamed Bazoum.
- Le journaliste Soufiane Maman Hassan, directeur de publication du journal Le Témoin de l’Histoire, a témoigné avoir été arrêté, dans la rue, par des hommes masqués. Ils l’auraient menacé de faire une descente chez lui « très bientôt » et de l’enlever, et lui auraient demandé de faire attention aux informations qu’il publiait et aux publications sur ses réseaux sociaux.
- Le 29 juillet, un membre du Comité de soutien au CNSP a publiquement appelé à la suspension jusqu’à nouvel ordre des médias occidentaux. Le 3 août, la chaîne de télévision France 24 et la radio RFI ont été suspendues jusqu’à nouvel ordre.
- Alors qu’ils couvraient des manifestations, des correspondants de médias internationaux ont reçu plusieurs menaces verbales de la part de personnes hostiles à leur présence. Des attaques physiques ont suivi le 19 août contre trois d’entre eux dont deux ont été blessés. Ils couvraient une cérémonie de recrutement des Volontaires de la patrie (VDP).
- Le 4 août, la journaliste et blogueuse Samira Sabou a reçu un appel d’intimidation de la part d’un militaire proche de la junte après qu’elle a partagé, à titre informatif, un post du président renversé, Mohamed Bazoum, sur ses réseaux sociaux. Elle dénonce un « déni du droit d’exercer en toute éthique ».
Dans la continuité des multiples appels au respect de la liberté de la presse lancés par la Maison de la presse du Niger au CNSP, nous exprimons notre solidarité avec les journalistes nigériens et les correspondants étrangers et rappelons la nécessité, en cette période de crise, d’une couverture plurielle et fiable de l’actualité, basée sur le respect de l’éthique et de la déontologie du métier. Nous demandons à la junte de respecter le droit à l’information, au pluralisme et à l’indépendance des médias.
En particulier nous appelons le CNSP à :
1 – Contribuer à la sécurité des journalistes locaux et internationaux :
- Mettre fin aux attaques verbales et menaces contre les journalistes, y compris par des membres du CNSP. Condamner publiquement de telles attaques quand elles ont lieu.
- Ne pas entraver par quelque moyen que ce soit les enquêtes pénales dont les menaces et agressions contre les journalistes doivent systématiquement faire l’objet aux fins d’identification et de poursuite de leurs auteurs quels qu’ils soient.
2 – Respecter les dispositions légales protectrices des médias :
- L’ordonnance de 2010 relative au régime de la liberté de la presse met fin aux peines privatives de liberté pour les délits de presse.
- Depuis 2022, la loi sur la répression de la cybercriminalité n’inclut plus de peine d’emprisonnement pour les journalistes en cas de délits commis par un moyen de communication électronique, comme l’injure ou la diffamation. Cependant, des dispositions de cette loi portant sur des crimes de trahison, terrorisme et d’atteinte à la sureté de l’État font peser sur les journalistes un risque de répression indue. Nous appelons le CNSP à s’engager publiquement à ne pas invoquer contre des journalistes en raison de leur activité journalistique les dispositions sur la trahison, le terrorisme et la sûreté de l’État.
3 – Respecter le droit à l’information des populations
- Préserver et respecter le droit à l’information des populations.
- Lever la suspension des médias comme RFI et France 24.
- Maintenir les plateformes Internet et les médias sociaux ouverts, sécurisés, inclusifs et accessibles.
4 – Respecter le pluralisme, la diversité et l’indépendance des médias
- Le CNSP doit considérer l’information comme un bien public et respecter le pluralisme et l’indépendance des médias indépendants.
- Ne pas faire obstacle à l’accès des médias à un financement adéquat et stable.
Notre appel s’adresse aussi aux autres États du Sahel dirigés par des militaires. Nous leur rappelons leur devoir de respecter les droits des journalistes, notamment celui d’accéder à l’information, dans l’intérêt des populations du Sahel.