La journée internationale de la jeune fille a été célébrée le 11 octobre. Instaurée en décembre 2011 par l’Assemblée générale des Nations unies, elle est une occasion pour insister sur les difficultés que rencontrent les jeunes filles et plaider particulièrement pour le respect de leurs droits fondamentaux. Parmi ces droits, le droit à la scolarisation est une des clés pour leur autonomisation, comme l’explique dans cet entretien Docteur Richard Djagri Tindjo, Enseignant-chercheur en développement et changement social à l’Université de Lomé.
Full-news : comment la scolarisation contribue-t-elle à l’autonomie de la jeune fille ?
Dr Richard Djagri Tindjo: L’éducation des filles est l’un des problèmes qui préoccupent actuellement l’humanité toute entière. Mieux, la scolarisation des jeunes filles surtout dans les milieux ruraux constitue un problème majeur pour cette catégorie de la population dont les causes sont entre autres les mariages précoces, les facteurs socio-culturels, la pauvreté des familles, les violences de genre en milieu scolaire, les situations d’urgence.
Aujourd’hui, la scolarisation des jeunes filles est un élément essentiel de leur accès à l’autonomie économique, l’épanouissement et un enjeu majeur de développement. Elle constitue un puissant outil de développement et procure un capital à la ressource humaine compétente. Par la scolarisation, les jeunes filles gagnent en compétence notamment le savoir, le savoir-faire, le savoir-être et le savoir faire-faire, ce qui influe par exemple sur la mortalité infantile car une fois mères, elles auront les bons gestes pour leurs enfants, leur foyer et leur communauté. L’importance de la scolarisation pour la jeune fille n’est plus à démontrer sur le plan individuel, au niveau du ménage, au niveau de la société, sur le plan développement.
Au plan individuel, la scolarisation permet à la fille d’avoir une assurance de soi, de se départir des préjugés, une assurance de sa propre vie, d’améliorer sa qualité de vie, de maîtriser sa fécondité, de prendre conscience de ses droits et d’être en mesure de les défendre. Elle permet également d’accroître leur possibilité d’exercer un emploi rémunérateur et par là d’avoir une autonomie financière permettant d’avoir le pouvoir de décisions.
Au niveau des ménages, une mère instruite peut mieux contribuer aux charges du ménage, gérer les ressources dont dispose la famille, décider d’avoir moins d’enfants et de mieux s’en occuper au point de vue santé, nutrition, éducation etc.
Au niveau de la société, la scolarisation de la jeune fille permet d’améliorer son statut et de mieux prendre part à la vie de la communauté.
Sur le plan développement, les retombées de la scolarisation de la jeune fille au plan individuel, familial et sociétal ont des incidences positives notamment sur le plan de la santé, éducation, agricole, emploi moderne, politique, protection de l’environnement contre le changement climatique etc.
Aujourd’hui, la situation en matière de scolarisation de la jeune fille a-t-elle évolué au Togo ? Que disent les données disponibles ?
A seulement 8 ans de l’évaluation de l’agenda 2030, la situation de la scolarisation des filles reste encore préoccupante au Togo. Le taux de scolarisation est estimé à 55% chez les filles contre 78% chez les garçons. Ce phénomène s’accentue dans les régions les plus pauvres du Togo. Dans la région des savanes par exemple, le taux d’alphabétisation des femmes est de 15%, tandis que celui des hommes est de 46% selon l’UNESCO (2022).
Les filles ont des taux de non-scolarisation plus élevés que ceux des garçons pour tous les niveaux. En revanche, c’est au 2ème cycle du secondaire que cet écart est le plus important et le taux de non-scolarisation des filles est deux fois supérieur à celui des garçons soit 40% pour les filles contre 20% pour les garçons. Un autre grand facteur expliquant l’inégalité d’accès à l’éducation est l’endroit de résidence. Les enfants résidant dans les milieux ruraux connaissent un taux de non-scolarisation bien plus élevé à tous les niveaux. Pourtant, contrairement à l’écart dû au genre, l’écart entre les enfants des milieux ruraux et urbains est extrêmement élevé pour le primaire et diminuent pour le secondaire (UNICEF, 2021).
Au regard de ces statistiques qui sont révélatrices de l’ampleur du phénomène, il ressort des obstacles qui freinent ainsi l’éducation de nombreuses filles au Togo. Même si au cours de ces dernières années, les ministères en charge de l’action sociale, de la promotion de la femme et de l’alphabétisation, de l’éducation primaire et secondaire, de l’enseignement technique et supérieur, du développement à la base et des organisations de la société civile ont multiplié des initiatives afin de mettre en place un environnement favorable, équitable, accessible à l’éducation des jeunes filles, les résultats enregistrés sont en dessous des attentes et loin d’être rassurants.
Pour surmonter les obstacles, quelles initiatives mène le ministère de l’action sociale, de la promotion de la femme et de l’alphabétisation dont vous-même vous relevez ?
Pour les actions menées ces dernières années par le ministère de l’action sociale, de la promotion de la femme et de l’alphabétisation, il faut noter entre autres que, chaque année en ce qui concerne la scolarisation des jeunes filles, 30 filles au BAC et 30 au BEPC qui ont obtenu les meilleurs résultats reçoivent des ordinateurs et des enveloppes financières d’un montant minimum de 30.000fr cfa. Au-delà de ces soutiens, des kits scolaires sont également offerts aux parents pour soutenir la scolarisation des enfants en général et en particulier les jeunes filles. Des campagnes de sensibilisation sont également menées au niveau des communautés pour un changement de mentalité et de comportement en matière de la promotion de l’éducation de la jeune fille. Ces sensibilisations visent à aider à accroître l’accès, la rétention, la qualité et l’équité de l’éducation de base au primaire, secondaire et au supérieur.
Au-delà de votre ministère, que fait le gouvernement dans son ensemble ?
Plusieurs actions sont menées par le gouvernement entre autres : la lutte contre les grossesses précoces et non désirées en milieu scolaire dans le cadre des Projets EPD/SR avec l’appui du Fonds mondial pour la population (UNFPA), l’octroi d’un quota de 50% aux candidats du sexe féminin aux concours de recrutement d’élèves maîtres dans les écoles normales d’instituteurs. Il y a aussi l’alphabétisation des adultes et des enfants déscolarisés surtout les filles, la lutte contre les violences en milieu scolaire à l’égard des filles, la mise en place des cantines scolaires pour soutenir l’accès, la fréquentation et la réussite des élèves, l’adoption de la loi N°2022-020 du 02 décembre portant protection des apprenants contre les violences à caractère sexuel au Togo et les procédures d’octroi des uniformes scolaires aux filles des établissements bénéficiaires du projet (Ce projet couvre quatre préfectures notamment celles de Kpendjal (Savanes), de Dankpen, de la Kéran (Kara), et des Lacs (Maritime)), la création de clubs d’excellence avec attribution de bourses aux meilleures filles en partenariat avec le Corps de la Paix, la mise en place des clubs de filles et de mères pour promouvoir les modèles valorisants. Les structures communautaires, les imams et maîtres coraniques, chefs traditionnels et coutumiers, leaders d’opinion, les enseignants sont également mis à contribution.
Malgré ces actions, beaucoup reste encore à faire. Comment combler alors le Gap ?
« L’éducation est un besoin essentiel et un Droit fondamental pour tout être humain », à cet effet, le gouvernement togolais devrait poursuivre le renforcement des mesures en matière de scolarisation de la jeune fille car « Eduquer une femme, c’est éduquer une Nation ».
Sans être trop prétentieux, nous suggérons quelques mesures au gouvernement et à la communauté en guise de contributions à la promotion de la scolarisation des jeunes filles. Il s’agit de : Construire des écoles là où les filles y ont accès, Veiller à la sécurité des filles, Sensibiliser les enseignants aux dangers des stéréotypes, Alléger le fardeau des tâches domestiques, Empêcher la menstruation de barrer la route à l’éducation, Mobiliser les communautés pour changer les normes sociales qui dévalorisent les filles et leur éducation, Améliorer la qualité de l’environnement scolaire, Créer des incitations économiques pour scolariser les filles et les garder à l’école, Instaurer des séances de causeries-débats dans les écoles avec les femmes chefs d’entreprises, responsables politiques, scientifiques etc.
Pour conclure nos propos, nous voudrons résumer notre intervention sous forme d’un appel à la prise de conscience par cette pensée du Feu président Sud Africain Nelson Mandela : « L’éducation est l’arme la plus puissante que vous puissiez utiliser pour changer le monde ».