Vendredi soir, la nouvelle tombe ! Faure Gnassingbé renvoie la nouvelle constitution à l’Assemblée nationale. Tout comme le texte lui-même, on n’en saura rien sur les motivations formulées par le président de la République que les Togolais soupçonnent de s’être fait tailler le texte sur mesure.
La constitution ‘’fantôme’’ votée lundi tard la nuit et qui a provoqué de vives débats va être relue par l’Assemblée nationale. Restée silencieuse jusqu’à cet instant, le ministre de la communication a lu, sur la télévision nationale, un communiqué indiquant que « le président de la République a demandé ce jour à la présidente de l’Assemblée nationale de faire procéder à une relecture de la loi adoptée. »
Selon le communiqué, cette décision du président serait motivée par « l’intérêt suscité au sein de la population par le texte depuis son adoption », et d’ajouter : « toute chose étant perfectible. » Le communiqué ne donne pas de précisions sur les éléments motivant le renvoi de la loi au parlement pour une deuxième lecture. Ce qui fait dire aux acteurs sociopolitiques opposés à cette constitution que le débat est loin de se terminer, même avec une deuxième lecture.
Abandonner le projet de constitution
Contacté vendredi nuit, Me Dodji Apévon pense que « la relecture permet au président d’enterrer la loi ou lui permettre de la corriger en profondeur avant un second vote, mais dans l’hypothèse où les choses ont été régulièrement faites. » Le président des Forces démocratiques pour la République (FDR) d’ajouter « ce n’est pas une question de relecture, il faut qu’ils retirent ce texte. S’ils veulent qu’on aille vers quelque chose de nouveau, il faut qu’ils instaurent le débat. On ne quitte pas un mandat présidentiel pour un mandat parlementaire sans débat et cela ne s’est jamais passé dans aucun pays. Tant que je n’aurai pas compris le but de la manœuvre, je ne peux pas y faire confiance », argumente-il.
La conférence des Evêques du Togo (CET) a expressément demandé au président de la République dès les premières heures de ne pas promulguer le texte. L’indignation des citoyens, puis des partis politiques a duré toute la semaine. Que ce soit les citoyens ou les partis politiques, tous ont dénoncé le fait que l’Assemblée nationale ait pris une telle disposition sans aucune consultation avec les populations.
Appropriation privée du pouvoir politique
Ce 29 mars, une autre voix non des moindres s’est ajoutée à la contestation du texte. L’ancien ministre de la prospection, l’économiste togolais Kako Nubukpo connu pour donner son opinion sans langue de bois s’est dit « contre la loi de révision de la constitution togolaise de 1992 qui vient d’être adoptée par l’Assemblée nationale. »
Dans l’opinion publiée sur Jeune Afrique, l’ancien ministre de Faure Gnassingbé a déclaré : « le contexte dans lequel cette loi a été présentée et votée soulève bien de questions. » Et il poursuit : « une assemblée nationale dont le mandat a pris officiellement fin le 31 décembre 2023 peut-elle décemment porter un changement de la loi fondamentale à quelques semaines de nouvelles élections législatives prévues le 20 avril ? Kako Nubukpo rappelle aussi cette disposition de la constitution de 1992 qui dispose qu’aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie en période d’intérim ou de vacance ou lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. » L’ancien ministre va plus loin et estime que « en donnant l’impression d’instrumentaliser la loi fondamentale (…) à des fins d’appropriation privée du pouvoir politique, l’actuel chef de l’Etat et l’actuelle Assemblée nationale dominée par l’Unir, prennent le risque de conduire le Togo dans une aventure dont l’issue pourrait être tragique. »
Selon certains juristes, le débat ne devrait même pas porter sur la légitimité du parlement, mais sur le processus lui-même. Et pour cause, s’il ne s’agissait que d’une question de légitimité, cela supposerait que le prochain parlement pourrait alors reprendre la même manœuvre et dans les mêmes conditions. Un piège à ne pas perdre de vue dans le débat. Il s’agit donc de la voie référendaire prévue pour le changement de la constitution que les députés ont donc sciemment ignorée, soutiennent les tenants de cette ligne.
Cacophonie dans l’explication
Toute la semaine, des tentatives d’explication de la démarche ont été faites sans grand succès. Des arguments sont allés dans tous les sens : renforcement des bases de la démocratie, régime politique répondant à l’évolution sociale, éviter des élections sources de morts etc… Les défenseurs du texte ont imaginé des initiatives pour faire passer le texte dans l’opinion. Peine perdue, l’opinion publique est restée ferme en réclamant le texte qui jusqu’à ce jour reste officiellement introuvable publiquement. Pour ceux qui ont tenté de défendre la ‘’beauté du texte’’, le renvoi à l’Assemblée nationale pour une relecture devrait confirmer la cacophonie en leur rang. Et pour cause, si ce texte était aussi parfait qu’ils ont voulu le faire croire, le président du parti, président de la République ne l’aurait pas “rejeté’’.
Mais au-delà, des avis émis dans l’opinion estiment que tout reste un feuilleton dont les scénarios sont à plusieurs inconnues. Et ces derniers de se demander, « et si tant de bruit a été fait dans le but de sortir enfin le vrai texte, sous prétexte qu’il est la version relue ?» Dans l’opinion nationale, d’autres estiment que le timing de cette révision n’est pas fortuite et qu’elle serait une diversion pour éloigner de l’essentiel de l’heure, les campagnes pour les prochaines élections. Des suppositions que seul le temps permettra de confirmer ou d’infirmer.
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Justin AMEDE