Adrien Béliki
Adrien Béliki avec son prix à Nairobi au Kénya

Le syndicaliste togolais Adrien Akouété Béliki est primé par ses pairs au Kenya, lors du 5è congrès de la Confédération syndicale internationale (CSI-Afrique). Syndicaliste engagé depuis plusieurs années, fin négociateur, Adrien Béliki a reçu des mains du président du Kenya, William Ruto son prix d’honneur. De même que lui, près d’une vingtaine d’acteurs syndicaux africains ont été honorés à ce congrès. Le syndicaliste revient sur son parcours, sa distinction; et analyse les défis actuels du syndicalisme, dans cet entretien accordé à Full-news.

Propos recueillis par Merveille Lawson à Nairobi (Kenya)

A travers votre distinction au 5è congrès de la CSI-Afrique, vos camarades n’ont-ils pas voulu, à travers vous, célébrer l’engagement syndical ?

Je dois ce prix certainement au travail sans relâche au sein de la CSI Afrique dans sa mise en place. Je dirais tout simplement que le chemin a été difficile. Nous avons traversé beaucoup de difficultés, mais nous sommes arrivés quand même à concilier les divergences pour arriver à mettre en place aujourd’hui une configuration qui devrait être un nouvel élan sur le plan syndical. Mais il y a un adage qui dit qu’ « on ne peut pas danser et s’apprécier soit même. » J’ai été d’abord ému parce que je n’étais pas informé de cette distinction. Je sais que lors des précédents congrès, les anciens sont honorés. J’étais là pour retrouver Nairobi que je connais bien pour avoir abritée le premier siège de la CSI Afrique, c’était en 2007.

Malheureusement, nous avons encore sur le continent des discussions et des clivages. Les camarades Francis Atwoli (ndlr Secrétaire général de l’Organisation centrale des syndicats du Kenya), et Mody Guiro (ndlr président CSI-Afrique) en ont un peu fait allusion dans leurs propos.

C’est un travail de longue haleine. Mais ce que je peux dire sur ce prix, c’est que c’est une reconnaissance. Une reconnaissance parce que pour arriver à mettre en place cette organisation, il a fallu du temps et de l’énergie.

Après le congrès de la mise en place de la CSI internationale à Vienne, personne ne donnait du crédit à son avenir en Afrique.

La tendance chrétienne qui est la Confédération mondiale du travail et la tendance un peu libérale qui est la Confédération internationale des syndicats libres et les autonomes pouvaient dorénavant s’entendre sur le continent pour créer alors la CSI-Afrique. C’était un chemin très long.

Et j’ai été l’un des négociateurs avec Andrew Kalimba que je n’ai pas vu ici. Peut-être que l’âge ne lui permettait pas de venir. Et ça n’a pas été facile. Je me suis sacrifié à un moment donné. Etre Secrétaire général de la branche chrétienne sur le continent et devenir après Secrétaire général adjoint, il faut avoir du courage et de la volonté pour arriver à un résultat. Voilà ce que je peux dire. C’est le travail reconnu par les camarades.

Parlant du syndicalisme sur le continent, comment se porte-t-il ?

Vous savez que nous sommes dans un monde qui est en plein mouvement. Le syndicalisme est né avec la révolution industrielle. Nous sommes aujourd’hui à la quatrième révolution mondiale qui est la digitalisation. Le syndicalisme est né avec la révolution du travail et qui dégénère beaucoup sur l’emploi précaire. Est-ce que nous allons garder les mêmes conditions de travail? Je ne suis pas sûr.

Le syndicalisme doit s’adapter aujourd’hui aux réalités du temps moderne, aux réalités de l’économie moderne. Depuis le temps de Thatcher et de Reagan, il a été clairement dit que l’État ne doit plus tellement intervenir dans les affaires du travail. Le travail doit être tout simplement une affaire de marché (offre et demande) et régulé. Or, nous savons que le marché, ce sont les privés. Ils n’ont jamais accepté d’avoir des syndicats forts.

Voilà ce qui se passe aujourd’hui partout dans le monde. C’est pour cela que les syndicats ont des problèmes. Mais c’est à nous de nous réadapter à ce nouvel environnement du travail.  Pour dire qu’aujourd’hui, on peut être à Lomé et avoir un patron à New-York. Et cet employeur a un contrat avec son employé. A quel contrat va donc se soumettre cet employé ? A un contrat précaire ? Il est temps de se réadapter tout simplement.

Les jeunes doivent avoir le courage d’affronter ce défi, car ce n’est pas parce que vous avez des problèmes, qu’il ne faut pas se syndiquer. Nous avons constaté que les travailleurs viennent au syndicat quand ils ont des problèmes. Alors qu’il faut être là pour bénéficier des acquis syndicaux.

Le syndicalisme a beaucoup évolué, comme le monde a évolué également. Aujourd’hui, nous sommes dans un monde de défis comme le changement climatique. Et cela crée aussi d’autres problèmes aux travailleurs. Donc, je pense sincèrement que le syndicat et le syndicalisme aujourd’hui dans le monde doivent évoluer, prendre le train de l’innovation en marche.

Un travailleur restera un travailleur et un employeur restera un employeur. Le but ultime d’un employeur, c’est le profit. Mais, il faut toujours la force humaine pour pouvoir travailler.

Les machines ne pourront pas remplacer totalement les hommes. Le travail demeure ce qui puisse donner de la richesse et cette richesse doit être partagée équitablement.

On ne peut pas parler de travail sans le droit de grève. Les employés ne vont pas accepter qu’on leur enlève ce droit. Vous constatez dans beaucoup de pays,  qu’on punit les grévistes alors que c’est un droit. Toutefois, il faut aussi aller en grève dans les conditions prescrites par la loi.

Les jeunes sont de plus en plus réticents à se syndiquer. Pour vous, qu’est-ce qui peut l’expliquer ? Et comment y remédier ?  

Il y a deux choses. La première c’est la formation des jeunes aux réalités syndicales. Lorsqu’une personne ne comprend pas le syndicalisme, il est normal qu’elle ne s’y intéresse pas. Aujourd’hui, le manque de formation dans le mouvement syndical est criard.  On manque de culture syndicale.

Deuxième élément, c’est de s’adapter à la communication, au régime communicationnel des jeunes aujourd’hui. Plus besoin de réunir les jeunes pendant deux jours, trois jours, quelque part. L’information peut être véhiculée par les nouvelles formes de communication. Tenir des réunions en ligne etc, créer les conditions nécessaires et ils s’intéresseront au message.

Pour la formation, avant, on devait voyager, on devait aller ici et là, mais aujourd’hui, on peut se faire former et former sur place.

Quel est votre avis sur la représentativité des jeunes, mais aussi des femmes dans les mouvements syndicaux ?

À partir du moment où il n’y a pas de réunification, pas de relève, les syndicalistes dinosaures seront toujours là. Les jeunes doivent savoir que c’est par le travail que vient  le mérite de la place qu’il faut. Je n’ai jamais été d’accord sur le quota de femmes dans les syndicats. Je dis et je répète que toute femme qui se bat mérite alors sa place dans le droit syndical. Non, il ne faut pas juste boucher les trous.

Un syndicat a besoin de jeunes, de femmes capables de discuter, de se former, de prendre la relève et de se battre. Donc, laisser la place aux jeunes, je me suis battu pour cette cause. Durant tout le temps que j’ai passé depuis les années 1993.

C’est aux jeunes de se battre également pour mériter leur place dans le mouvement syndical. Et il faut le savoir, si vous ne vous battez pas, vous ne trouverez jamais de place. L’Alouette ne descend jamais toute cuite du ciel. Il faut d’abord aller la chasser, la cuire pour pouvoir la manger.

Donc, c’est un travail de pédagogie pour les jeunes, aussi bien que pour les femmes, pour mériter leur place dans le mouvement syndical. La jeunesse doit se réveiller. Elle est la relève de demain, aussi bien dans le mouvement syndical que dans la société. Finalement, la jeunesse doit avoir à l’esprit, le sens du sacrifice pour mériter sa place.

Pour vous, finalement, quelles sont les qualités d’un bon syndicaliste ?

Un bon syndicaliste doit être disponible, capable du don de soi et avoir la capacité de négociation. L’engagement doit être total, il ne faut pas critiquer pour critiquer, mais faire des contre-propositions.

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