Espionnage
Une enquête menée par deux médias internationaux révèle des pratiques d'espionnage au Togo. Photo illustrative, DR

Une enquête journalistique révèle l’espionnage de religieux, hommes politiques et activistes au Togo. Selon « The Guardian » et « Le Monde », cet espionnage s’est servi du logiciel israélien Pegasus initialement conçu pour traquer des terroristes. Parmi les noms des victimes, le président de la conférence épiscopale, Mgr Benoît Alowonou ; le père Pierre Chanel Affognon, Porte-parole du mouvement « Espérance pour le Togo »  ou encore l’ancien ministre des Affaires Etrangères et ex-ministre délégué auprès de la primature, Elliott Ohin…Une affaire qui fait grand bruit et qui n’est pourtant pas nouveau, ni au Togo, ni ailleurs !

Peut-on se protéger de l’espionnage informatique ?

Le numérique n’a pas que des avantages. Les vulnérabilités inhérentes à l’usage des nouvelles technologies sont énormes. Cependant, autant il n’y a pas de risque 0 en sécurité, autant la vulnérabilité n’est pas une fatalité. S’en prévenir demande juste de s’imposer des restrictions, comme par exemple, renoncer à l’utilisation de ces technologies. Ou au pire, limiter leur usage. C’est par exemple, l’usage de téléphone simple au lieu des appareils intelligents ; le changement régulier de contact etc… Des mesures agaçantes mais qui pourraient être un minimum de garantie de sécurité.

Gerry Taama, président du parti politique Nouvel Engagement Togolais, député et ancien officier des Forces Armées Togolaises ira plus loin. Sur sa page Facebook, cet élu « 2.0 » suggère aux togolais de parler leurs langues locales pour déjouer les algorithmes de ces logiciels. Il conseille même que ces langues soient tout aussi changées comme l’on changerait de numéro.

« Il est vrai que ces logiciels développent des algorithmes spéciaux qui ne déclenchent les enregistrements qu’à partir de certains mots clés, mais si je parle nawdum (langue locale togolaise), leur algorithme va se planter… Donc il faut parler des langues compliquées et sauter de langue en langue. Ça détraque leur intelligence artificielle », écrit le député sur sa page Facebook.

Toutefois, reconnait l’homme politique, l’humain est au cœur du dispositif d’espionnage. Gerry Taama n’a pas hésité de revenir sur un secret de polichinelle. « Politiquement, je ne me tracasse pas trop car tous nos partis sont infiltrés, parfois à des hauts sommets. Le nombre de leaders politiques de l’opposition qui font des comptes rendus aux gens du pouvoir à l’issue des réunions est effarant », soutient le président du NET.

Des victimes, pas surprises

Pas vraiment, si l’on se réfère au reportage du journal britannique « The Guardian ». Alors pourquoi le sujet fait réagir autant à Lomé ? Tous les pays espionnent à l’intérieur tout comme à l’extérieur au nom de leur sécurité. Mais pas que malheureusement ! C’est donc peut être là que se trouve la clé pour comprendre les réactions autour du sujet. Dans le cas togolais, l’enquête des deux journaux n’accuse pas clairement le pouvoir de Faure Gnassingbé, certes. Mais elle le soupçonne. « Bien que l’on ne sache pas qui a perpétré les attaques contre les cibles togolaises, certaines des victimes ont déclaré qu’elles pensaient que le gouvernement togolais était probablement derrière l’effort de surveillance », écrit par exemple le journal britannique. A juste titre, la majorité des personnes identifiées sont soit proches de l’opposition, de l’opposition ou des critiques du pouvoir de Faure Gnassingbé. C’est le cas des membres du clergé dont certaines positions ont ces derniers temps dérangé le gouvernement togolais sur des questions socio-politiques.

Mgr Benoît Alowonou, le président de la conférence épiscopale du Togo, à en croire le journal, n’est pas étonné. Seulement déplore-t-il que l’espionnage pour des raisons politiques est une pratique «dangereuse pour nos libertés et pour la démocratie». L’autre réligieux cité, Pierre Chanel Affognon quant à lui s’est dit choqué.

Les écoutes, une vieille pratique…

Les écoutes téléphoniques se sont nettement améliorées avec des moyens sophistiqués ces dernières années. La pratique existe depuis la nuit des temps. Mieux, les Etats ont toujours utilisé des espions humains pour se protéger et anticiper en recueillant des informations. L’enquête des deux médias citent d’ailleurs d’autres pays où le logiciel israélien aurait été utilisé. La seule inquiétude, c’est lorsque de pareilles pratiques sont mises en œuvre dans un but autre que la sécurité ou l’intérêt national.

D’ailleurs, le logiciel Pegasus serait conçu dans ce sens. Cependant, la société israélienne NSO ne peut s’assurer que ses clients respectent cette « clause ». Elle ne saurait donc être responsable d’une utilisation contraire par un gouvernement. NSO avait déjà fait l’objet d’un procès intenté par WhatsApp pour avoir permis de pirater ses utilisateurs. L’utilisation abusive de Pegasus semble être le cas dans tous les pays pointés par l’enquête.

Tous les Etats comme le Togo ont naturellement des services de renseignements. Ces derniers collectent des informations susceptibles de prévenir, agir ou rechercher des éventuels auteurs d’actes illégales susceptibles de nuire au pays. Le moins qu’on puisse leur dire, c’est d’éviter l’abus qui pourrait être une violation des libertés.

Et les dérives arrivent bien souvent au nom de la sécurité d’Etat à laquelle il reste difficile, dans certains pays, d’opposer des arguments contraires. Ce sont donc les dérives qu’il faut prévenir et combattre au besoin à tous les niveaux ! Mais la collecte intelligente de renseignements reste un besoin vital pour tous, si tant qu’elle est faite dans le respect des lois. Il ne faut cependant pas se leurrer,  sur le sujet, les avis divergeront toujours.

Ben KADE / Justin AMEDE