2023 tire à sa fin et l’heure est au bilan. Au Togo, il n’y a qu’une image qui reste gravée dans la mémoire collective : celle du marché d’Agoè Assiyéyé ravagé par un incendie dans la nuit du 21 au 22 décembre. A la veille de noël, les commerçants et commerçante de ce grand marché dans le nord-ouest de la capitale ont vu leurs efforts de toute une année, voire de toute une vie partir en fumée. La scène de chaos laissée par ce qui reste des lieux a plongé les Togolais dans un douloureux souvenir, vieux d’il y a 10 ans mais encore fumant…
Si nous étions Grecs, on aurait cru à un déchaînement de Zeus, la divinité de la foudre dans la mythologie grecque, pour que nos marchés partent en fumée aussi facilement. Ne soyons pas fataliste, en renvoyant nos propres turpitudes sur une quelconque divinité, comme nous savons le faire, en fuyant nos responsabilités ; comme d’ailleurs ce qui est devenue la triste célèbre phrase de cet incendie de trop d’un marché au Togo : « Dieu le fera ! »
Et pourtant, il y a dix ans, deux grands marchés du Togo ont connu le supplice du feu. Les grands marchés de Lomé et de Kara, ont été dévastés par le feu, en 48h d’intervalle les 10 et 12 janvier 2013. A l’époque, le parquet de Lomé s’est empressé de déclarer un incendie criminel ; avec comme mascotte un certain Mohamed Loum. Seulement dix ans après, rien n’a clairement filtré de l’enquête ouverte.
C’est dans ce contexte d’une justice toujours muette que le marché d’Agoè Assiyéyé aussi important de par sa position géographique que par sa portée est dévasté par le feu. Un supplice du feu pour les commerçants et les commerçantes, mais aussi pour les milliers de Togolais qui s’y approvisionnent au quotidien. Comme 2013, cet incendie a suscité de l’indignation. Mais tel un feu de paille, ces sentiments de colère et d’exaspération s’estomperont progressivement, dissimulés dans les murmures impuissants; laissant les premières victimes à leur triste sort.
Mais qu’à cela ne tienne, il faut poser les bonnes questions dans le vif du sujet. Comment a-t-on pu croiser les bras, à tous les niveaux ; pour que dix ans après Lomé et Kara, un incendie vienne de nouveau réduire à néant un autre marché de grande importance au Togo ?
Négligence !
Réfléchissons ! Le premier constat est amer ! Aucune leçon n’a été concrètement tirée du drame de 2013. Les décideurs semblent vite oublier le passé ou peu soucieux du rôle que joue ce secteur dans l’économie du pays. De quoi faire croire qu’en parlant presque au quotidien du secteur privé comme allié du développement, ce n’est pas aux marchés qu’on fait allusion ! Si non, il est difficile de comprendre qu’aucune réelle disposition ne soit prise pour détecter un début d’incendie, le circonscrire au plus vite et le maîtriser complètement dans les meilleurs délais dans un marché comme celui d’Agoè Assiyéyé. C’est donc dire que la prévention n’est pas la chose la mieux partagée par ceux qui sont chargés de la gestion de ces centres commerciaux.
Et si l’on devait supposer que les hautes autorités ont délégué ce rôle aux responsables communaux ? Là encore, la gestion hasardeuse n’a comme conséquence que le chaos. Un marché sans bouche d’incendie, doté de vigiles incapables de détecter un début d’incendie ; un marché censé abriter un poste de sécurité publique cramé en une nuit. Cela ne fait aucun doute, la priorité a été sans doute longtemps ailleurs que la sécurité aussi bien des infrastructures que des activités qui s’y déroulent. Habitués à se braquer face à la moindre contestation ; il y a de ces gestionnaires des affaires publiques qui sont plus focalisés sur les avantages de leurs fonctions que sur leurs devoirs et donc leurs responsabilités. Prompts à étouffer les contestations qu’à analyser leurs causes et en trouver des solutions idoines, ils ont la réputation de préférer jouir de leurs avantages que de répondre à leurs responsabilités. C’est ce qui doit désormais changer.
Ce que dit la justice
Les premiers éléments de l’enquête communiqués par le Procureur de la République confirment notre sentiment de négligence. En effet, selon Mawama Talaka, les résultats préliminaires dirigent vers « un incendie d’origine électrique. » « Un compteur électrique de fortune, communément appelé ‘’additionneuse’’ fixé dans un conteneur à marchandises a été suspecté d’être le générateur d’un court-circuit électrique. Cette thèse a été confortée par la manière dont les installations électriques ont été faites sur le site dudit marché», note le Procureur de la République. Il ajoute : « en effet, hormis le bloc administratif et le poste de police, les installations électriques sur le site du marché d’Agoe-Nyive-Assiyeye n’ont pas été faites par l’administration. Chaque usager a procédé à sa propre installation électrique avec le technicien de son choix et en fonction de son besoin. Cette pratique a entraîné une installation anarchique des câbles électriques, à la manière des toiles d’araignée. De ce fait, le moindre dysfonctionnement électrique occasionnant un court-circuit était susceptible de provoquer un embrasement généralisé en raison de l’encombrement des étalages », constate le Procureur de la République.
La justice précise que les premières investigations ont eu lieu le 23 décembre. Selon elle, « les constatations et des premières auditions faites, ont permis d’identifier le bloc »épices », au centre du marché, comme point de départ du feu. Après cette identification, les techniciens de la Cellule d’identification criminelle ont procédé à la recherche de la présence probable d’un indice relatif à l’usage d’un hydrocarbure. La recherche s’étant révélée infructueuse, la thèse d’un incendie d’origine électrique a été envisagée. »
Quid de la conscience collective ?
Et quand cette gestion calamiteuse est devenue une évidence, que peuvent faire les administrés que nous sommes ? D’abord, nous devons continuer par exprimer notre indignation vis-à-vis de ce qui est une sorte de négligence de l’essentiel pour assurer la sécurité de nos biens. Exigeons plus pour la protection civile, synonyme de plus de moyens pour les institutions qui en ont la charge. Exigeons plus de mesures de prévention dans les lieux publics accueillant du grand public, et spécialement pour l’ensemble des marchés du pays. Car, comme en 2013 où nous avons été personnellement témoin de la peine des services des sapeurs-pompiers, l’incendie du marché d’Agoè Assiyéyé démontre à suffisance que ce corps a besoin d’être renforcé à tous les niveaux : matériels, personnels etc…De même, le maillage des grandes villes du pays ne devrait plus être une option. La décentralisation ne devrait pas uniquement satisfaire les égos politiques. Il faut que les communes se donnent les moyens pour prendre en main les questions vitales des administrés comme la protection civile. Il est sans doute clair que si le marché d’Agoè Assiyéyé était doté d’une unité de sapeurs-pompiers, ou encore que si le premier véhicule d’intervention se trouvait dans la même commune; on n’aurait, au pire des cas, déploré que quelques hangars ou magasins partis en fumée. Les ¾ du marché consumé par les flammes (comme s’est résolu à le déclarer le gouvernement, -comme si le quart restant pouvait servir encore à quelque chose-) aurait pu être épargnés.
Pour finir, plusieurs propositions se sont tournées vers les assurances. Ce qui est une invitation à de sérieuses réflexions. Car comme on le sait tous, aucun assureur ne voudra assurer un secteur potentiellement exposé au supplice du feu ! Le secteur informel dans lequel évolue la plupart des commerçants et commerçantes comporte encore trop de risques pour susciter l’engouement des assureurs. Même s’il existe des produits qui pourraient couvrir les commerçants et commerçantes d’une certaine catégorie dans nos marchés, il reste encore du chemin à faire dans la culture de l’assurance. De plus, il faut penser à plus de modèles adaptés aux risques du secteur comme il l’a été avec le mécanisme MIFA pour minimiser les risques dans le secteur de l’agriculture.
L’année 2023 aura été laborieuse, empreinte de résignation. Et comme cela ne suffisait pas, elle s’achève avec un coup de massue sur la tête d’importants acteurs de l’économie informelle du pays. Pour que cette scène ne se reproduise plus, il faut que chacun, en ce qui le concerne, se décide à jouer sa partition. Qu’elle soit accidentelle, climatique, criminelle ou d’origine électrique comme l’annonce la justice, l’origine de l’incendie du marché d’Agoè Assiyéyé doit être définitivement déterminée et les responsabilités situées. C’est le seul vœu qu’il convient de formuler pour les victimes. Plus généralement, il faut faire en sorte qu’assurer des fonctions publiques soit autant une affaire de responsabilités que de privilèges, et que les citoyens sortent de leur résignation suicidaire et du fatalisme pour prendre conscience de leurs droits à être plus exigeants vis-à-vis de leurs gouvernants; mais aussi vis-à-vis d’eux-mêmes pour leur propre bien-être et celui de toute la communauté !
Carlos Tobias