Reporters sans frontières s’inquiète de la détérioration du climat autour des médias ces dernières semaines au Rwanda. En l’espace de deux semaines, un journaliste a été arrêté, au moins deux autres sont maintenant en fuite et un site internet d’information a été piraté. Ces affaires n’ont pas de liens apparents les unes avec les autres, mais elles participent de l’exacerbation d’une atmosphère de peur et d’autocensure parmi les professionnels de l’information.

Le 24 avril, le journaliste Cassien Ntamuhura, responsable à la radio confessionnelle Amazing Grace, a comparu à Kigali lors de la première audience de son procès pour « atteinte à la sûreté de l’Etat », « complicité de terrorisme » et « trahison », en compagnie de trois co-accusés, dont le très populaire chanteur Kizito Mihigo. Journaliste sans histoire selon ses collègues, Cassien Ntamuhura avait été porté disparu depuis le 7 avril 2014.

Le 14 avril, la police rwandaise annonçait avoir arrêté le journaliste, sans préciser où elle l’avait appréhendé, menant la Commission des Médias du Rwanda (RMC) à supputer qu’il avait été détenu illégalement entre le 7 et le 14 avril. Le 17 avril, néanmoins, la RMC concluait que ses problèmes « n’étaient pas en lien avec sa profession de journaliste ». Le Ministère public a demandé que les coaccusés demeurent en détention préventive jusqu’à la seconde audience prévue pour le lundi 28 avril.

De son côté, le département d’Etat américain, a appelé Kigali à respecter la liberté de la presse, à garantir un procès équitable pour Cassien Ntamuhanga, Kizito Mihigo et leurs co-accusés et a rappelé au gouvernement rwandais l’importance « d’autoriser la liberté d’expression ».

Par ailleurs, Reporters sans frontières a été informé d’au moins deux journalistes qui ont été contraints de fuir le pays depuis début avril.

Stanley Gatera, du site d’information indépendant Umusingi, a été arrêté le 17 avril pour tentative d’extorsion. Selon son témoignage, recueilli par Reporters sans frontières, le journaliste était dans un café public lorsqu’une personne s’est approchée et lui a glissé une enveloppe dans la poche. Immédiatement, trois policiers en civil l’ont arrêté et mené au commissariat. Lorsque la police le raccompagne chez lui, après six heures d’interrogatoire, un officier l’informe qu’il existe un plan pour l’assassiner, lui et sa famille. Pris de panique, le journaliste fuit le pays le 18 avril et est actuellement en exil. Selon Stanley Gatera, les intimidations et menaces dont il a fait l’objet pourraient être liées à une interview qu’il avait donnée à Al Jazeera dans le cadre de l’émission « People and Power », diffusée en mars 2014, dans laquelle il abordait la difficulté pour les journalistes de travailler au Rwanda. En 2012, Stanley Gatera avait déjà été condamné à une année de prison pour « divisionnisme » et « discrimination basée sur le genre ». Son frère, Nelson Gatsimbazi, le fondateur de Umusingi avait fui le pays en 2011 alors qu’il était également poursuivi pour « divisionnisme ».

Le journaliste Eric Udahemuka, lui, a fui le pays juste avant les commémorations du génocide, le 1er avril 2014. Faisant l’objet de harcèlement (filatures, intimidations, agressions, vols) depuis 2012, il semblerait que les derniers articles publiés en janvier et mars 2014 dans le journal Isimbi aient fait mouche. Interrogé par RSF, le journaliste a rapporté que deux hommes, engagés pour le filer depuis plusieurs mois, l’ont averti qu’il risquait d’être assassiné à tout moment en raison de ses articles critiquant le gouvernement du Rwanda. Eric Udahemuka a alors fui le pays avec sa famille.

Enfin, le site d’investigation journalistique Ireme fait l’objet d’un piratage depuis le 15 avril. En lieu et place des informations, les pirates ont publié e des contenus outranciers et des photos truquées concernant l’affaire Kizito Mihigo.

En Ouganda au moment des faits, l’administrateur du site, le journaliste John Williams Ntwali, a immédiatement réagi sur les réseaux sociaux pour dire qu’il n’était plus associé au contenu du site dont il avait perdu le contrôle. De retour au Rwanda, il s’est empressé d’écrire à la police, au Procureur ainsi qu’à la Commission des médias afin de se désolidariser des rumeurs qui le prétendaient en fuite et du contenu du site piraté, conscient du danger d’être perçu par les autorités comme un fugitif ou d’être tenu responsable des propos du site. Le journaliste, interrogé par Reporters sans frontières, n’exclut aucune piste dans la responsabilité de l’attaque contre son site et estime que cet acte vise à sanctionner la liberté de ton de son média.

Le Rwanda dont le régime s’illustre régulièrement par les atteintes au droit à l’information de ses citoyens, occupe la 162e place sur 180 pays dans le Classement 2014 de la liberté de la presse, établi par Reporters sans frontières.

 Source : www.rsf.org